Le rythme de la mode connaît à partir des années soixante-dix une accélération considérable. Le foisonnement d’inventions et de propositions nouvelles, qui émergeait au cours de la décennie précédente, se rationalise et va transformer irréversiblement la rue, les mentalités, le chic et les « looks ». En plus des vêtements, de leurs matières et des techniques de fabrication, les accessoires de mode explosent littéralement. On trouve de nouvelles formes de sac à main, de chaussures, de bijoux…
C’est en somme tout un rapport au vêtement qui change dans l’ensemble du monde occidental. Sous le regard attentif d’un Orient qui n’a pas encore accès à ce travail des apparences. Le produit qualifié se distingue du produit générique comme l’architecture se différencie de la construction ou la grande cuisine de la bonne nourriture… Pour défendre la prééminence qui est sienne depuis plus d’un siècle, la couture parisienne cherche de nouvelles stratégies aptes à la garantir commercialement face au produit en série qualifié. Cependant, le secteur du prêt-à-porter, toutes voiles aux vents de la mode, engendre ses propres Chefs de file, baptisés « stylistes » dans les années soixante.
C’est quoi le stylisme ?
Le stylisme est un tout, un concept global, une sorte d’arôme qu’on ajoute à la recette d’une production pour en faire ressortir la saveur et l’améliorer. Même si les magazines comme Elle ou Marie-Claire et, aux États-Unis bien sûr, le Women’s Wear Daily, unique journal de mode au monde à paraitre chaque jour, ont fait connaitre les noms, la personnalité ou le visage de ceux qui s’attaquaient au produit industriel, les stylistes des années soixante sont presque toujours demeurés des mercenaires au service de qui les employait, en l’occurrence des marques très générales comme Mendes, Rodier, Léonard, Biki, Pierre d’Alby, Weinberg, etc. Au cours des années soixante-dix s’impose une évidence car le talent doit revendiquer son identité.
À côté des généralistes, il faut des spécialistes
D’autant qu’en mode, chaque individualité créative constitue un cas spécifique. Ainsi va naitre le phénomène dit des « jeunes créateurs ». La jeunesse désignant moins ici, on le verra au fil des ans, l’âge de ces démiurges que la verdeur de leurs créations. C’est dans cette individuation au cas par cas que le Paris des seventies conserve aux yeux du monde la maitrise d’une situation de plus en plus explosive. Tous ne le comprennent pas de la même façon. Ainsi les journaux propagent-ils l’image élégante de Claude Pompidou, la femme du président de la République française, qui arbore avec une allure certaine les derniers modèles des grands couturiers, de Chanel à Courreges.
La politique et la mode
Mais dans le même temps, Georges Pompidou lui-même déclare, dans une allocution qui fait encore dresser les cheveux des responsables du luxe : « Nous ne voulons pas faire la France de la couture et des parfums ». La droite, parce que naturellement conservatrice, la gauche, parce qu’elle confond encore fantaisie avec frivolité, les vieux industriels, parce qu’ils ne comprennent rien aux jeunes créateurs, beaucoup de Français qui rêvent du Concorde, de belles autoroutes, de villes nouvelles ne reconnaissent en mode que Pierre Cardin. Parce qu’il pose en cosmonaute…
L’entrée des marques étrangères dans la mode française
Tout cela et bien d’autres choses vont alors profiter aux marques étrangères. Celles-ci vont considérablement se développer dans les années à venir. En France, en Italie, aux États-Unis, beaucoup de nouvelles figures déterminant la tendance ne sortent plus par cooptation naturelle du Sérail de la couture parisienne. Dès lors, il n’y a plus d’évolution unique. Plutôt que de mode, il faudrait parler des modes. Foisonnante, souvent contradictoire, la créativité des seventies ressemble à un torrent qui sort parfois de son lit avant d’échapper à qui tente d’en réguler le cours. La France de la couture et des parfums ne se montrera effectivement pas la plus habile à exploiter cette sensibilité libertaire. Cependant, à la toute fin du siècle, c’est encore autour de l’axe défini par Paris à la fin des années soixante-dix que tourne aujourd’hui la planète mode.